
Je suis la Vénus Hottentote
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1805, au cœur de l'Afrique.
Je suis née sous un soleil ardent, dans les plaines infinies du Cap. Mon peuple, les Khoïkhoïs, marche depuis des siècles sur cette terre rouge et fertile. Nous dansons au rythme du vent, nous chantons avec la rivière. Nos corps, sculptés par la nature, sont une ode à la vie, un héritage sacré. Et moi, Saartjie Baartman, je suis l'une d’entre eux.
Mais un jour, mon destin bascula.
Les hommes blancs sont arrivés avec leurs promesses. Travaille pour nous, viens en Europe, deviens une reine. Ils m'ont habillée de faux rêves et m’ont arrachée à ma terre, me promettant la richesse, me vendant l’illusion d’un monde où l’on me regarderait avec admiration.
J'ai embarqué sur un navire. La mer était infinie, et l’horizon semblait me dévorer. Les vagues, elles, chantaient des prières que je ne comprenais pas. Mes jambes, ces jambes qui avaient couru sur la terre de mes ancêtres, se sont soudain senties lourdes, enchaînées à une destinée inconnue.
Un monstre de foire
Londres. Paris. Partout où je passais, les regards étaient les mêmes. Des rires, des murmures. Des hommes en redingote et en perruque posaient leurs yeux sur moi comme s’ils observaient une créature née d’un autre monde.
Ils me déshabillaient du regard.
Sur scène, je devais marcher, danser, sourire. Ils appelaient ça un spectacle. Moi, j’appelais ça l’humiliation. Regardez son corps, regardez ses courbes, est-ce une femme ou un animal ? Ils touchaient ma peau, tiraient sur mes hanches, chuchotaient que je n’étais pas humaine, mais un phénomène de la nature.
Ils m’ont donné un nom : la Vénus Hottentote.
Vénus, comme la déesse de l’amour. Mais où était l’amour dans leurs yeux ?
Paris, la prison dorée
Un jour, on m’a vendue. Plus d'affiches, plus de spectacles. Cette fois, c'était pire. Des hommes en blouse blanche, des "scientifiques", ont pris le relais. Ils m'ont disséquée du regard avant même que la mort ne vienne.
Ils mesuraient chaque centimètre de mon corps, cherchaient à prouver que j’étais différente, inférieure. Regardez son crâne, regardez ses fesses, ce n’est pas une femme civilisée, c’est un chaînon manquant entre l’homme et l’animal.
Je n’étais plus un être humain. J’étais devenue un objet d’étude.
J'ai pleuré. J'ai prié mes ancêtres de me ramener chez moi. Mais les murs de pierre de Paris n'écoutaient pas.
Le dernier souffle
J’ai fini seule, dans une chambre froide, oubliée de tous sauf des ombres de mon passé. Mon corps épuisé, mon cœur brisé, mon âme déchirée. J’ai fermé les yeux une dernière fois et j’ai rêvé d’Afrique.
J’ai vu le soleil caresser les plaines. J’ai entendu les rires de mon peuple. J’ai senti la terre sous mes pieds. J’étais enfin libre.
Mais même après ma mort, ils n’ont pas voulu me rendre mon humanité. Mon corps a été exposé, ma dépouille violée par la science et la curiosité malsaine des hommes.
Il a fallu près de cent quatre-vingt ans pour que mon peuple réclame mes restes et que je puisse enfin rentrer chez moi. Enfin, l’Afrique m’a reprise dans ses bras.