
Je suis une ombre sous le Code Noir
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Introduction
Ce récit a été écrit dans un but éducatif. Il vise à préserver la mémoire des horreurs du passé et à sensibiliser les lecteurs à l’histoire du Code Noir, afin qu’un tel système d’injustice ne puisse jamais se reproduire. En racontant cette période sombre de l’humanité, nous espérons transmettre une compréhension plus profonde de la souffrance qu’il a engendrée et rendre hommage à ceux qui ont enduré l’impensable.
Je suis une ombre sous le Code Noir
1804. Une plantation dans les Antilles françaises.
Je me souviens de la première fois que j'ai entendu les mots "Code Noir." Ils tombèrent des lèvres de l'intendant, qui nous les lut à voix haute comme des commandements venus du ciel. Mais il n'y avait rien de divin là-dedans.
Le Code Noir était, disait-on, un don de Napoléon. Un ensemble de règles pour civiliser notre monde, pour définir notre valeur. "Vous n'êtes plus des sauvages," proclamaient-ils. "Vous êtes des sujets de l'Empire, gouvernés par la loi."
Mais la loi me voyait comme quelque chose de moins qu’un homme. Elle mesurait ma vie en grains de café, ma force en canne à sucre. Elle fut écrite par des hommes qui n’avaient jamais touché la terre ni senti le fouet.
La loi de la douleur
"Article 2 : Tous les esclaves de nos îles seront baptisés et instruits dans la foi catholique."
La foi, disaient-ils. Mais quand le Père Jean vint à la plantation, ses mains tremblaient du même fouet que portait l'intendant. J’ai été baptisé au nom d’un Dieu qui détournait le regard. Mes prières furent murmurées entre des lèvres fendues, mes psaumes se mêlèrent au tintement des chaînes.
"Article 15 : Les maîtres auront pleine autorité pour punir leurs esclaves."
Et ils s’en servaient. L’intendant n’avait pas besoin de lire celui-ci à haute voix. Je le sentais chaque fois que mon dos brûlait sous le soleil et sous le fouet. "De la paresse," disait-il. Mais comment un homme peut-il se mouvoir rapidement lorsque ses côtes lui font mal de faim ?
"Article 34 : Les affranchis devront rester au service de leurs anciens maîtres pendant un certain nombre d’années."
Une cruelle plaisanterie. Même la liberté avait ses chaînes. Mon cousin fut affranchi, oui. Mais il travailla les mêmes champs, vécut dans la même cabane. La seule différence était un papier qu’il ne pouvait lire.
L’approbation des intellectuels
J’ai entendu leurs noms murmurés dans la plantation, prononcés avec révérence par ceux qui savaient lire. Voltaire, Montesquieu, Buffon.
Voltaire, qui se moqua de l’idée que nous étions égaux, qui échangea des actions dans les compagnies qui nous transportaient comme du bétail. "Le commerce est le moteur du progrès," disait-il. Le progrès. J’ai vu le progrès dans les profondes cicatrices sur le dos de mon père.
Montesquieu, qui écrivit sur la liberté et les lois, mais justifia la nécessité de l’esclavage dans les colonies. "Un maître doit gouverner," écrivit-il, "pour le bien de tous." Pour le bien de qui ? Je voudrais le demander, mais la réponse ne ferait qu’amener plus de coups.
Buffon, le naturaliste, qui décrivit notre peau comme une preuve d’infériorité, qui nous appela une race inférieure. Il étudia les plantes et les animaux, et il nous plaça quelque part entre les deux.
Ils ne vinrent jamais aux plantations. Leurs mots voyagèrent plus loin que leurs pieds. Et pourtant leurs idées devinrent notre réalité.
Une journée sous le Code Noir
Le soleil se leva, mais il n’apporta pas d’espoir nouveau. Je marchai dans les champs de canne, le sol encore humide de la pluie de la nuit précédente. La voix de l’intendant déchira l’air du matin. "Avancez plus vite !"
Je ne vis pas le fouet avant qu’il ne frappe. Le premier coup me fit trébucher. Le second me mit à genoux. "Tu te crois un homme ? Tu es une propriété !"
Je regardai les autres. La mère qui travaillait à côté de moi, son enfant attaché dans son dos. Le vieil homme dont les mains étaient trop lentes, dont le dos était courbé comme la canne qu’il coupait. Nous étions une famille uniquement dans la souffrance.
À midi, mes mains saignaient à force de manier la machette. Au crépuscule, mes épaules souffraient sous le poids des bottes que je transportais jusqu’au moulin. Les bottes de l’intendant suivaient de près, sa voix un rappel constant que le Code Noir lui permettait de nous battre à sa guise.
Quand le travail s’arrêta, nous retournâmes à nos cabanes, silencieux et vides. Certains priaient. D’autres fixaient le sol. J’ai pensé à m’enfuir, mais les chiens me rattraperaient, les chaînes reviendraient.
"C’est la loi," nous disaient-ils.
L’ombre du Code Noir
Le Code Noir était censé apporter l’ordre, la justice. Au lieu de cela, il apporta la douleur et le désespoir. Nous vivions sous son ombre, toujours pliés, toujours brisés.
Quand je levais les yeux vers les étoiles la nuit, je me demandais si les hommes qui avaient écrit ces lois voyaient le même ciel. Je me demandais s’ils savaient ce que leurs mots faisaient à nos corps, à nos esprits, à nos âmes.
Mais alors, j’entendais le murmure du vent à travers les champs de canne. Il portait quelque chose de plus que du chagrin. Il portait le plus faible écho de résistance, le plus faible éclat d’espoir.